Jeudi 15 septembre
9 h 30
Conférence inaugurale
11 h 00
De corne et d’ivoire
Je propose de présenter différentes utilisations de l'espace dans la fabrication des rites d'oniromancie. Il s'agit de susciter le rêve par un rituel afin d'obtenir une vérité ou une information de la part du divin. Ces pratiques frappent par l'enracinement spatial d'une activité cognitive intérieure a priori dépourvue de tout rapport à l'espace physique extérieur. La caractéristique majeure de l'aire rituelle est en effet son ouverture sur l'extériorité et sa mise en relation avec d'autres espaces. Le rêve se trouve alors inscrit, non plus uniquement dans les profondeurs du sujet, mais aussi à la surface du monde, dans une étendue saturée de qualifications et intégrant à la fois le proche et le lointain. Ce faisant, le rituel ne fabrique pas simplement le rêve mais construit aussi la réalité dans laquelle prend place l'activité onirique, le monde dans lequel s'insère le sujet humain. Il participe ainsi à la fabrication de l'écoumène, c'est-à-dire d'un espace symbolisé pour être rendu habitable et qui, dans le cas de ces pratiques rituelles, peut s'étendre jusqu'à l'espace céleste.
* Les traductions en français sont celles de l’auteur.
14 h 00
Cosmologie, écologie, « éconirisme »
16 h 00
Lecture
Vendredi 16 septembre
9 h 00
Rêve et corporalité
L'espace personnalisé des rêves ressemble à l’espace domestique car les deux sont souvent hantés par la violence. Mettre feu à la maison, enterrer le corps du père sous la maison, refuser de garder la maison propre, s’échapper de la maison avec un autre homme ou, encore pire, avec une femme, ou quitter la maison du père pour vivre dans les rues -- tels sont les actes littéraires qui expriment la résistance contre l'ordre patriarcal. Ces actes commencent ou se terminent souvent par des rêves de pouvoir ou des cauchemars marqués par l’impuissance : ce sont non seulement des rêves nocturnes, mais aussi des rêveries et des rêves utopiques d’autonomisation.
J’aimerais examiner l'importance des rêves en tant que contre-récits à propos de l’espace domestique (home-space) dans quatre œuvres d’écrivaines canadiennes ayant été publiées entre 1996 et 2010. La relation entre les femmes et les maisons a déjà préoccupé des générations de critiques féministes au Canada, mais le rôle que les rêves occupent chez elles a reçu peu d’attention critique. Comment le soi féminin peut-il habiter les rêves d’un chez-soi ? Quelle profonde ambivalence envers la maison et la famille émerge dans les contre-récits de l'autonomisation des femmes ? On peut voir les grandes lignes de piégeage et de rage des générations de femmes « prises derrière le papier peint » (Charlotte Perkins Gillman) en examinant la manière dont les femmes rêvent la résistance dans des mondes cauchemardesques (par exemple de l’otage ou de l'abandon); Des oeuvres comme Room (2010) d’Emma Donoghue ; The Fear Room (1996) de Margaret Gibson, Cereus Blooms at Night (1996) de Shani Mootoo, et Lullabies for Little Criminals (Ballade de baby) (2006) de Heather O'Neill, témoignent de différentes formes de rêves et de rêveries qui constituent des contre-récits.
Si nous partons des notions de « corps médial » (corps dans son rapport technique au monde) et « corps animal » (corps enveloppe de chair), introduites par Augustin Berque dans Ecoumène, les camps de concentration, sursauts de l’inédit et de l’horreur dans l’Histoire, créent, par leur inhumanité même, un séisme dans la structure ontologique du déporté. L’inquiétante étrangeté (cette rupture brutale de la rationalité qui déstabilise et fait ressurgir des traumas anciens chez le narrateur, mais bouleverse également les sensations du lecteur face au récit du déporté survivant) de l’espace concentrationnaire engendre une limite de sens du « corps médial », qui concorde, dans un rapport dynamique, avec une limite de fait du « corps animal ». L’irrationalisme de ce système brouille et morcelle l’identité, et provoque une rupture entre corps d’avant et corps d’après ; démuni, l’individu n’a plus que son corps à quoi il puisse se rattacher et se définir. Mais comment s’appréhender, se représenter, lorsque notre individualité est supprimée et notre corps méconnaissable ?
« Nous prédiquons le monde à partir de notre corps »[1], affirme Augustin Berque, traduisant l’idée merleau-pontienne que notre expérience du corps donne naissance à une réalité[2]. L’expérience de l’extrême amène un langage cosmodiégètique particulier, dans un processus de verbalisation mouvant entre conscient et inconscient. Le narrateur d’Un homme qui dort de George Perec entre dans une torpeur volontaire assimilable à l’état transitoire entre la vie et la mort que dépeint Primo Levi dans Si c’est un homme, une zone d’interférences entre espace réel et irréel, un espace de création de nouvelles perceptions du corps. La bipartition de l’être en deux moitiés, une moitié intérieure (physiologiquement individualisée) et une moitié extérieure (qui s’adapte à son milieu) engendre une entité dynamique et complexe, un tissu relationnel entre l’être et l’espace. En nous axant sur le bouleversement ontologique amené par l’expérience de l’extrême, nous tenterons de démontrer comment nous trajectons notre existence à travers le milieu.
Ludo Van Bogaert (1897-1989) a rencontré Paul Valéry en 1922 et lui a rendu régulièrement visite à son domicile pour lui parler de ses recherches neurologiques et lui exposer certains cas. Le rôle scientifique de Ludo Van Bogaert a été de fédérer les trop nombreuses spécialités de la neurologie, ce qui a contribué à la mise au jour de nouveaux faits et à leur éclairage par l’introduction de l’électrophysiologie. Ces recherches ont permis à l’époque de modifier en profondeur la façon d’envisager l’onirisme et l’hallucination. Les neurologues découvrent en particulier la notion de « schéma corporel », c’est-à-dire la représentation que nous avons de notre corps dans l’espace.
En s’intéressant à ses propres réveils et à des malade qui souffrent d’un trouble de l’orientation spatiale, le poète en vient à la conviction, exprimée dans une lettre à Ludo Van Bogaert, que le malade souffrant de ces troubles aurait « une perception des choses plus authentique, parce que non conventionnelle ». La recherche poétique doit être le lieu d’une perte des repères traditionnels qui fondent notre rapport à l’espace. Paul Valéry voit dans les « cas » de neuropathologie comme dans le rêve une rupture de convention semblable à celle qu’exige le travail poétique.
11 h 00
Projection, immersion, modulation
Notre proposition de communication se centrera sur l’étude de la recréation imaginaire de l’espace psychique dans le roman de Pérez Lugín, La casa de la Troya. Partant d’une révision du concept de projection établi par Barbara Piatti, nous nous attarderons sur les différentes projections de l’espace apparues tout au long du roman, organisées autour de deux grands espaces : Saint-Jacques-de-Compostelle versus Madrid. Saint-Jacques représentant un espace clos et archaïque, du fait notamment de son architecture, face à Madrid, projeté comme espace désiré et rêvé.
À partir des paramètres spatiaux, nous analyserons la différence entre l’espace de la réalité du monde extérieur et l’espace de la réalité psychique créé par le héros du roman. En conséquence, nous partirons d’une distinction idéale entre espace projetés et espaces projetants. Cette distinction nous permettra d’établir, par rapport au processus opéré par le héros, une classification typologique des différentes projetions. Cette dialectique de l’espace réel-rêvé sera associée à une fluctuation temporelle indissociable de la projection spatiale, dont l’analyse s’envisage révélatrice. L’un des points les plus forts de notre communication sera une proposition de représentation cartographique qui révèle la dynamique entre espace projeté et projetant, à savoir, entre une dimension physique et une autre psychique.
Ainsi, plusieurs interrogations seront soulevées lors de cette étude. Nous chercherons à comprendre comment une pratique de mise en scène immersive artistique et nocturne, peut devenir un lieu où la rêverie est prépondérante? Quels sont les facteurs environnementaux nécessaires permettant une immersion imagée et imaginaire du spectateur ? Comment cet espace ambiental parvient-il à bouleverser notre vision du monde ?
La première réalisation plastique analysée portera sur l’œuvre intitulée Nocturnal cage for Australian night animals de l’artiste Wesley Meuris. Le milieu vide et nocturne proposé par ce dernier privilégie une exploration spatiale et imaginaire dans un environnement, nous incitant à laisser libre court à nos rêveries. Cette mise en scène apparaît telle une simulation irréelle proposant d’admirer des cages d’animaux nocturnes vides et accentue la sensation de mystère, de désorientation spatiale, laissant accroître l’imagination du spectateur. Ce « zoo virtuel » nous propose ainsi une immersion psychologique avec nous-même et nos créatures imaginaires.
Le second dispositif examiné fera l’objet d’une analyse portant sur la notion de panorama immersif courant 19ème siècle, privilégiant un englobement fictif du corps du spectateur. Cet entrée en matière permettra d’introduire et mieux discerner l’œuvre de Miguel Chevalier, dénommée Dear World…Yours. Cette immersion numérique et virtuelle, nous dévoile une projection vidéo, fondée sur le thème de la nuit et du cosmos. Elle nous plonge dans une nuée d’images abstraites propices à un vagabondage imaginaire. Cette création colorée est magnifiée par l’espace d’exposition de la King College Chapel de l’Université de Cambridge, dévoilant une immersion virtuelle à 360° et spectateur de se glisser au cœur de ses rêves, l’espace d’un instant.
Enfin, la dernière œuvre explorée abordera la pratique immersive de l’artiste Lionel Stocard, lequel favorise la recréation physique du rêve nocturne. Sa composition artistico-spatiale appelée La chambre des rêves, présente au spectateur un espace interactif, l’insérant dans une immersion sensorielle, comparable à l’état de rêve. Son dispositif ambiental, parvient à mobiliser presque tous les sens : visuel, sonore, kinesthésique… favorisant une reconnaissance mémorielle de notre état physique au moment du rêve, et permettant au spectateur de le renouveler de manière consciente et éveillée. Cette installation favorise un laisser-aller corporel, nécessaire à l’exploration des songes.
En conséquence, au travers de cette étude nous constatons que certaines pratiques immersives et artistiques nocturnes, précipitent notre corps dans de nouveaux états : imaginaires et factices, visant à expérimenter et modifier nos sensations habituelles. L’espace vide, l’espace virtuel ou encore l’espace mouvant nous immergent de toute part, laissant divaguer sans aucune limite nos rêves et aspirations les plus profondes.
Dans cette communication je me propose d’évoquer un certain nombre des spécificités spatio-temporelles de séquences de rêve ainsi que la manière dont les passages de la réalité vers le rêve s’opèrent. À travers quatre séquences cinématographiques nous constaterons comment le passage de la réalité vers le rêve prend lieu techniquement, et observerons les résonances esthétiques entre ces séquences.
Nous considérerons l’espace du rêve cinématographique (cauchemar, rêverie journalière et rêve prémonitoire) comme un paysage ouvert, instaurant un dialogue avec d’autres espaces de rêve ou de réalité. Les films considérés seront Metropolis (1927) de Fritz Lang, Le Miroir (1975) d'Andreï Arsenevitch Tarkovski, Fanny et Alexandre (1982) et Sarabande (2003) d’Ingmar Bergman.
L’hypothèse que je soutiendrai démontrera qu’au cœur de ces modulations spatio-temporelles se trouvent des objets-modulateurs, que nous appellerons ici des moteurs oniriques.
14 h 00
Spationirisme
Le rêve apparaît à la fois comme le garant, le ferment et la matrice de la diversité culturelle, de la capacité de l’être humain à renouveler ses représentations, à se renouveler lui-même, et le meilleur moyen de croiser les différents langages.
Le rêve dirigé renvoie le voyageur à une cosmogonie personnelle, à ses multiples expériences et identités. Il est une occasion de relecture autobiographique, une opportunité de réajustement des facultés perceptives, mémorielles et identitaires. Il permet au rêveur de réécrire son paysage de perception en réactualisant ses représentations sensibles (sonores, visuelles...) et mémorielles, comme certaines pratiques somatiques lui permettent de réactualiser son schéma corporel et les automatismes de son corps, à l’exemple du BMC ou des intégrations fonctionnelles de la méthode Feldenkrais.
Je souhaite ici considérer le rêve comme une expérience à vivre, insistant ainsi sur le continuum entre le voyage qu’il offre et la réalité dont il fait partie. Mon exposé s’appuiera sur le croisement des travaux de Philippe Descola sur le rêve comme expérience d’une autre modalité d’existence ; des recherches de Pascale Piolino en psychologie cognitive sur les transformations du Soi et d’Alain Berthoz, en physiologie de la perception, sur la mémoire et l’imagination ; de la réflexion critique de Moshe Feldenkrais concernant sa pratique somatique et enfin d’une approche poétique et imaginaire de l’espace aquatique du rêve.
16 h 00
Conférence de clôture
9 h 30
Conférence inaugurale
- Florence Dumora (Université Paris-Diderot) : « Le rêve et les pouvoirs de la contiguïté »
11 h 00
De corne et d’ivoire
- Florian Audureau (Université Paris-Diderot) : « Constructions d’un espace rituel dans les pratiques d’oniromancie gréco-égyptiennes »
Je propose de présenter différentes utilisations de l'espace dans la fabrication des rites d'oniromancie. Il s'agit de susciter le rêve par un rituel afin d'obtenir une vérité ou une information de la part du divin. Ces pratiques frappent par l'enracinement spatial d'une activité cognitive intérieure a priori dépourvue de tout rapport à l'espace physique extérieur. La caractéristique majeure de l'aire rituelle est en effet son ouverture sur l'extériorité et sa mise en relation avec d'autres espaces. Le rêve se trouve alors inscrit, non plus uniquement dans les profondeurs du sujet, mais aussi à la surface du monde, dans une étendue saturée de qualifications et intégrant à la fois le proche et le lointain. Ce faisant, le rituel ne fabrique pas simplement le rêve mais construit aussi la réalité dans laquelle prend place l'activité onirique, le monde dans lequel s'insère le sujet humain. Il participe ainsi à la fabrication de l'écoumène, c'est-à-dire d'un espace symbolisé pour être rendu habitable et qui, dans le cas de ces pratiques rituelles, peut s'étendre jusqu'à l'espace céleste.
- Jean-François Cottier (Université Paris-Diderot) : « L’enfant et le roi : rêves, visions et espaces invisibles »
- Riccardo Raimondo (Sorbonne-Paris-Cité) : « Avignon, nouvelle Babylone : le rêve de la Nature contre la ville dépravée dans Le Chansonnier de Pétrarque »
* Les traductions en français sont celles de l’auteur.
14 h 00
Cosmologie, écologie, « éconirisme »
- Kevin Morel (INRA, AgroParisTech, Université Paris-Saclay) : « Le Rêve aborigène transformateur de la pensée agronomique : vers une réciprocité holistique et ordonnatrice »
- Arianna Cecconi (E.H.E.S.S. Marseille) : « ‘‘Quand je rêve, moi, je suis le plus souvent au pays’’ : un regard anthropologique sur la relation entre rêves et espaces de vie »
- Jeremie Brugidou (Université Paris-VIII) : « Les terrains rêvent aussi »
16 h 00
Lecture
- Simon Harel (Université de Montréal) : « De rêve en rêve »
Vendredi 16 septembre
9 h 00
Rêve et corporalité
- Roxane Rimstead (Université de Sherbrooke) : « Rêver la révolte. Contre-récits des femmes de l’espace intérieur »
L'espace personnalisé des rêves ressemble à l’espace domestique car les deux sont souvent hantés par la violence. Mettre feu à la maison, enterrer le corps du père sous la maison, refuser de garder la maison propre, s’échapper de la maison avec un autre homme ou, encore pire, avec une femme, ou quitter la maison du père pour vivre dans les rues -- tels sont les actes littéraires qui expriment la résistance contre l'ordre patriarcal. Ces actes commencent ou se terminent souvent par des rêves de pouvoir ou des cauchemars marqués par l’impuissance : ce sont non seulement des rêves nocturnes, mais aussi des rêveries et des rêves utopiques d’autonomisation.
J’aimerais examiner l'importance des rêves en tant que contre-récits à propos de l’espace domestique (home-space) dans quatre œuvres d’écrivaines canadiennes ayant été publiées entre 1996 et 2010. La relation entre les femmes et les maisons a déjà préoccupé des générations de critiques féministes au Canada, mais le rôle que les rêves occupent chez elles a reçu peu d’attention critique. Comment le soi féminin peut-il habiter les rêves d’un chez-soi ? Quelle profonde ambivalence envers la maison et la famille émerge dans les contre-récits de l'autonomisation des femmes ? On peut voir les grandes lignes de piégeage et de rage des générations de femmes « prises derrière le papier peint » (Charlotte Perkins Gillman) en examinant la manière dont les femmes rêvent la résistance dans des mondes cauchemardesques (par exemple de l’otage ou de l'abandon); Des oeuvres comme Room (2010) d’Emma Donoghue ; The Fear Room (1996) de Margaret Gibson, Cereus Blooms at Night (1996) de Shani Mootoo, et Lullabies for Little Criminals (Ballade de baby) (2006) de Heather O'Neill, témoignent de différentes formes de rêves et de rêveries qui constituent des contre-récits.
- Béatrice Munaro (Université Sorbonne Nouvelle) : « Corps réel, corps fantasmé : écriture de la confusion identitaire dans l’expérience de l’extrême »
Si nous partons des notions de « corps médial » (corps dans son rapport technique au monde) et « corps animal » (corps enveloppe de chair), introduites par Augustin Berque dans Ecoumène, les camps de concentration, sursauts de l’inédit et de l’horreur dans l’Histoire, créent, par leur inhumanité même, un séisme dans la structure ontologique du déporté. L’inquiétante étrangeté (cette rupture brutale de la rationalité qui déstabilise et fait ressurgir des traumas anciens chez le narrateur, mais bouleverse également les sensations du lecteur face au récit du déporté survivant) de l’espace concentrationnaire engendre une limite de sens du « corps médial », qui concorde, dans un rapport dynamique, avec une limite de fait du « corps animal ». L’irrationalisme de ce système brouille et morcelle l’identité, et provoque une rupture entre corps d’avant et corps d’après ; démuni, l’individu n’a plus que son corps à quoi il puisse se rattacher et se définir. Mais comment s’appréhender, se représenter, lorsque notre individualité est supprimée et notre corps méconnaissable ?
« Nous prédiquons le monde à partir de notre corps »[1], affirme Augustin Berque, traduisant l’idée merleau-pontienne que notre expérience du corps donne naissance à une réalité[2]. L’expérience de l’extrême amène un langage cosmodiégètique particulier, dans un processus de verbalisation mouvant entre conscient et inconscient. Le narrateur d’Un homme qui dort de George Perec entre dans une torpeur volontaire assimilable à l’état transitoire entre la vie et la mort que dépeint Primo Levi dans Si c’est un homme, une zone d’interférences entre espace réel et irréel, un espace de création de nouvelles perceptions du corps. La bipartition de l’être en deux moitiés, une moitié intérieure (physiologiquement individualisée) et une moitié extérieure (qui s’adapte à son milieu) engendre une entité dynamique et complexe, un tissu relationnel entre l’être et l’espace. En nous axant sur le bouleversement ontologique amené par l’expérience de l’extrême, nous tenterons de démontrer comment nous trajectons notre existence à travers le milieu.
- Thomas Augais (FNS, Université de Fribourg) : « Rêve et espace dans le dialogue entre poésie et neurologie : Paul Valéry et Ludo Van Bogaert »
Ludo Van Bogaert (1897-1989) a rencontré Paul Valéry en 1922 et lui a rendu régulièrement visite à son domicile pour lui parler de ses recherches neurologiques et lui exposer certains cas. Le rôle scientifique de Ludo Van Bogaert a été de fédérer les trop nombreuses spécialités de la neurologie, ce qui a contribué à la mise au jour de nouveaux faits et à leur éclairage par l’introduction de l’électrophysiologie. Ces recherches ont permis à l’époque de modifier en profondeur la façon d’envisager l’onirisme et l’hallucination. Les neurologues découvrent en particulier la notion de « schéma corporel », c’est-à-dire la représentation que nous avons de notre corps dans l’espace.
En s’intéressant à ses propres réveils et à des malade qui souffrent d’un trouble de l’orientation spatiale, le poète en vient à la conviction, exprimée dans une lettre à Ludo Van Bogaert, que le malade souffrant de ces troubles aurait « une perception des choses plus authentique, parce que non conventionnelle ». La recherche poétique doit être le lieu d’une perte des repères traditionnels qui fondent notre rapport à l’espace. Paul Valéry voit dans les « cas » de neuropathologie comme dans le rêve une rupture de convention semblable à celle qu’exige le travail poétique.
- Martin Hervé (Université du Québec à Montréal) : « Le cauchemar qui jouit de Claude Louis-Combet »
11 h 00
Projection, immersion, modulation
- Arantxa Fuentes (Université Saint-Jacques de Compostelle) : « Espaces projetés, espaces projetants : Saint-Jacques de Compostelle et La Casa de la Troya »
Notre proposition de communication se centrera sur l’étude de la recréation imaginaire de l’espace psychique dans le roman de Pérez Lugín, La casa de la Troya. Partant d’une révision du concept de projection établi par Barbara Piatti, nous nous attarderons sur les différentes projections de l’espace apparues tout au long du roman, organisées autour de deux grands espaces : Saint-Jacques-de-Compostelle versus Madrid. Saint-Jacques représentant un espace clos et archaïque, du fait notamment de son architecture, face à Madrid, projeté comme espace désiré et rêvé.
À partir des paramètres spatiaux, nous analyserons la différence entre l’espace de la réalité du monde extérieur et l’espace de la réalité psychique créé par le héros du roman. En conséquence, nous partirons d’une distinction idéale entre espace projetés et espaces projetants. Cette distinction nous permettra d’établir, par rapport au processus opéré par le héros, une classification typologique des différentes projetions. Cette dialectique de l’espace réel-rêvé sera associée à une fluctuation temporelle indissociable de la projection spatiale, dont l’analyse s’envisage révélatrice. L’un des points les plus forts de notre communication sera une proposition de représentation cartographique qui révèle la dynamique entre espace projeté et projetant, à savoir, entre une dimension physique et une autre psychique.
- Laure Perrin (Université Rennes-II) : « L’espace ambiental et immersif nocturne comme expérience propice aux rêves et rêveries »
Ainsi, plusieurs interrogations seront soulevées lors de cette étude. Nous chercherons à comprendre comment une pratique de mise en scène immersive artistique et nocturne, peut devenir un lieu où la rêverie est prépondérante? Quels sont les facteurs environnementaux nécessaires permettant une immersion imagée et imaginaire du spectateur ? Comment cet espace ambiental parvient-il à bouleverser notre vision du monde ?
La première réalisation plastique analysée portera sur l’œuvre intitulée Nocturnal cage for Australian night animals de l’artiste Wesley Meuris. Le milieu vide et nocturne proposé par ce dernier privilégie une exploration spatiale et imaginaire dans un environnement, nous incitant à laisser libre court à nos rêveries. Cette mise en scène apparaît telle une simulation irréelle proposant d’admirer des cages d’animaux nocturnes vides et accentue la sensation de mystère, de désorientation spatiale, laissant accroître l’imagination du spectateur. Ce « zoo virtuel » nous propose ainsi une immersion psychologique avec nous-même et nos créatures imaginaires.
Le second dispositif examiné fera l’objet d’une analyse portant sur la notion de panorama immersif courant 19ème siècle, privilégiant un englobement fictif du corps du spectateur. Cet entrée en matière permettra d’introduire et mieux discerner l’œuvre de Miguel Chevalier, dénommée Dear World…Yours. Cette immersion numérique et virtuelle, nous dévoile une projection vidéo, fondée sur le thème de la nuit et du cosmos. Elle nous plonge dans une nuée d’images abstraites propices à un vagabondage imaginaire. Cette création colorée est magnifiée par l’espace d’exposition de la King College Chapel de l’Université de Cambridge, dévoilant une immersion virtuelle à 360° et spectateur de se glisser au cœur de ses rêves, l’espace d’un instant.
Enfin, la dernière œuvre explorée abordera la pratique immersive de l’artiste Lionel Stocard, lequel favorise la recréation physique du rêve nocturne. Sa composition artistico-spatiale appelée La chambre des rêves, présente au spectateur un espace interactif, l’insérant dans une immersion sensorielle, comparable à l’état de rêve. Son dispositif ambiental, parvient à mobiliser presque tous les sens : visuel, sonore, kinesthésique… favorisant une reconnaissance mémorielle de notre état physique au moment du rêve, et permettant au spectateur de le renouveler de manière consciente et éveillée. Cette installation favorise un laisser-aller corporel, nécessaire à l’exploration des songes.
En conséquence, au travers de cette étude nous constatons que certaines pratiques immersives et artistiques nocturnes, précipitent notre corps dans de nouveaux états : imaginaires et factices, visant à expérimenter et modifier nos sensations habituelles. L’espace vide, l’espace virtuel ou encore l’espace mouvant nous immergent de toute part, laissant divaguer sans aucune limite nos rêves et aspirations les plus profondes.
- Elena Tyushova (Université Paris-VIII) : « ‘‘Le cinéma en tant que rêve’’, les œuvres en dialogue et les métamorphoses de l’espace et du temps »
Dans cette communication je me propose d’évoquer un certain nombre des spécificités spatio-temporelles de séquences de rêve ainsi que la manière dont les passages de la réalité vers le rêve s’opèrent. À travers quatre séquences cinématographiques nous constaterons comment le passage de la réalité vers le rêve prend lieu techniquement, et observerons les résonances esthétiques entre ces séquences.
Nous considérerons l’espace du rêve cinématographique (cauchemar, rêverie journalière et rêve prémonitoire) comme un paysage ouvert, instaurant un dialogue avec d’autres espaces de rêve ou de réalité. Les films considérés seront Metropolis (1927) de Fritz Lang, Le Miroir (1975) d'Andreï Arsenevitch Tarkovski, Fanny et Alexandre (1982) et Sarabande (2003) d’Ingmar Bergman.
L’hypothèse que je soutiendrai démontrera qu’au cœur de ces modulations spatio-temporelles se trouvent des objets-modulateurs, que nous appellerons ici des moteurs oniriques.
14 h 00
Spationirisme
- Khalil Khalsi (Université de Montréal / Sorbonne Nouvelle) : « Le panoptisme par le rêve »
- Eric Lynch (Hobart and William Smith Colleges, New York) : « Antoine Volodine et l’anthropocène. Des zones catastrophiques aux espaces chamaniques »
- Victor Toubert (Université Sorbonne Nouvelle) : « Le rêve et le labyrinthe : perspective, espace et ‘‘texture du rêve’’ dans Les Anneaux de Saturne de W.G. Sebald »
- Pascale Weber (Université Panthéon-Sorbonne / CÉRIUM) : « Voyages et incorporations : une poétique accouchée du rêve »
Le rêve apparaît à la fois comme le garant, le ferment et la matrice de la diversité culturelle, de la capacité de l’être humain à renouveler ses représentations, à se renouveler lui-même, et le meilleur moyen de croiser les différents langages.
Le rêve dirigé renvoie le voyageur à une cosmogonie personnelle, à ses multiples expériences et identités. Il est une occasion de relecture autobiographique, une opportunité de réajustement des facultés perceptives, mémorielles et identitaires. Il permet au rêveur de réécrire son paysage de perception en réactualisant ses représentations sensibles (sonores, visuelles...) et mémorielles, comme certaines pratiques somatiques lui permettent de réactualiser son schéma corporel et les automatismes de son corps, à l’exemple du BMC ou des intégrations fonctionnelles de la méthode Feldenkrais.
Je souhaite ici considérer le rêve comme une expérience à vivre, insistant ainsi sur le continuum entre le voyage qu’il offre et la réalité dont il fait partie. Mon exposé s’appuiera sur le croisement des travaux de Philippe Descola sur le rêve comme expérience d’une autre modalité d’existence ; des recherches de Pascale Piolino en psychologie cognitive sur les transformations du Soi et d’Alain Berthoz, en physiologie de la perception, sur la mémoire et l’imagination ; de la réflexion critique de Moshe Feldenkrais concernant sa pratique somatique et enfin d’une approche poétique et imaginaire de l’espace aquatique du rêve.
16 h 00
Conférence de clôture
- Michaël La Chance (Université du Québec à Chicoutimi) : « Les archéologies poétiques de Richard Robertson », en présence de l’artiste.